Analyse et explication des cas de discrimination
1. Le racisme et l’antisémitisme sont aussi un problème en Suisse
par Michael Bischof ℹ
Une Brésilienne de 49 ans est victime de remarques racistes et est rouée de coups de pied et coups de poing sur les berges de la Limmat. Une jeune femme, brésilienne également, est victime de racisme anti-Noirs dans une épicerie. Un passant découvre des autocollants antisémites à Sihlcity. Ce ne sont là que trois exemples issus de la dernière chronologie des incidents racistes de la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme GRA. Le point commun de ces trois incidents est qu’ils ont tous eu lieu dans la ville de Zurich. La présence dans la chronologie d’incidents s’étant produits dans la ville de Zurich est une bonne chose. À première vue, cette affirmation peut sembler paradoxale sous la plume d’un employé municipal. Pourtant, cette ville, qui a à juste titre la réputation d’être ouverte sur le monde, reste attentive face aux réalités sociales telles que le racisme et l’antisémitisme.
À Zurich, nous avons souvent aussi bien du mal à reconnaître ces réalités. [1] C’est pourquoi les initiatives telles que celle de la GRA, qui met également en lumière des incidents se produisant à Zurich dans sa chronologie, sont importantes. La mise en lumière implique toutefois que la lumière crée toujours aussi des zones d’ombre. Ainsi, la chronologie n’a pas la prétention d’être exhaustive. Ses auteurs sont conscients que de nombreux incidents ne sont pas portés à la connaissance du public et n’apparaissent donc pas dans la chronologie. La chronologie n’en est pas moins importante. Depuis 1992, elle attire chaque année l’attention sur le fait que le racisme et l’antisémitisme sont des problèmes sociaux qui concernent également la Suisse. Cet avis est partagé par une grande partie de la population. Ainsi, selon l’enquête nationale «Vivre ensemble en Suisse», deux tiers de la population suisse considèrent le racisme comme un problème social important. [2] Selon le baromètre national des préoccupations 2018, la part de la population considérant que le racisme et la xénophobie constituent l’un des cinq problèmes principaux en Suisse a significativement augmenté par rapport à l’année précédente. [3] La remarque selon laquelle la situation ne serait ici pas si dramatique en comparaison avec celle d’autres pays est inutile. Il n’est pas question de parler de l’intensité dramatique ni de se présenter comme un élève modèle sur la scène internationale. Et il n’est pas question d’utiliser l’information selon laquelle la situation est bien pire ailleurs pour échapper à nos responsabilités. En effet, ce qui compte dans les cas concrets, c’est que les incidents et les victimes reçoivent l’attention qu’ils méritent. En outre, un faible nombre d’incidents n’attire pas les félicitations des spécialistes. Des informations vraisemblables semblent montrer qu’un faible niveau de discrimination indique plutôt un manque de sensibilité. [4]
La discrimination largement répandue est une réalité.
Sur le lieu de travail et à la maison, les discussions sur le racisme et l’antisémitisme sont incroyablement souvent déconnectées de la réalité. Quelqu’un qui aborde le problème du racisme se heurte à de la distanciation et de la résistance [5] et doit s’entendre dire qu’il exagère et se base uniquement sur des sentiments subjectifs. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le racisme est toujours aussi une expérience subjective et émotionnelle. L’une des préoccupations de la lutte contre le racisme n’est-elle pas de respecter et de protéger la fragilité et la sensibilité des individus? En outre, d’où viennent les certitudes de ceux qui prétendent qu’il existe une trop grande sensibilité? Ne faudrait-il pas plutôt déplorer un manque de sensibilité?
Il faut prendre au sérieux les impressions et expériences des victimes. Selon un sondage à large échelle de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), 90% des personnes juives interrogées constatent une montée de l’antisémitisme. La majorité des personnes interrogées observe également une augmentation de l’intolérance à l’égard des musulmans et une augmentation du racisme en général. Une grande partie des personnes interrogées craint d’être victime d’un acte antisémite dans l’année qui vient. [6]Dans les débats critiques envers l’intégration et la migration, on aime désormais évoquer régulièrement la nécessité de prendre au sérieux les «peurs de la population». Il est frappant de constater que l’on ne parle alors que rarement de la peur face au racisme et à la discrimination. C’est pourtant une réalité: un quart des jeunes de 17-18 ans dont au moins l’un des deux parents vient d’un pays africain considèrent qu’ils sont discriminés en Suisse à cause de leur origine. [7] La migration n’est alors que le motif affiché de l’exclusion. En réalité, elle est dirigée contre ce qui est prétendument «différent», selon des conceptions de la normalité associées à la société majoritaire et non remises en question. Cela a des répercussions: selon une enquête allemande, les personnes «dont l’apparence indique qu’elles sont issues de l’immigration se sentent bien plus souvent discriminées que les immigrés dont l’apparence ne les distingue pas de la population majoritaire par des caractéristiques telles que la couleur de peau ou un voile». [8]
Souvent, le statut social de la victime importe peu au racisme. Au contraire, ses manifestations s’associent souvent à d’autres types de discriminations, liées par exemple au statut social ou au sexe (discrimination multiple). Les personnes visitant des centres de conseil spécialisés dans le racisme sont plus souvent victimes de discrimination sociale et économique. Il est particulièrement difficile pour elles d’exiger le respect de leurs droits. [9] C’est à la lutte contre le racisme de relever ces défis. Il n’y a toujours qu’une infime minorité qui signale des incidents racistes et antisémites. [10] Parler de racisme ne peut pas être une question de statut ou de ressources ni la mission exclusive des victimes. Les pouvoirs publics doivent assumer une responsabilité à cet égard. La question de savoir quelle doit être la portée de leur engagement est toutefois controversée. L’approche selon laquelle la lutte contre le racisme par l’État doit se limiter uniquement aux poursuites judiciaires est assurément insuffisante. La discrimination raciale englobe davantage qu’une violation de la norme pénale contre le racisme. En définitive, le droit pénal n’est que le dernier recours contre les infractions publiques particulièrement graves. En outre, il se concentre exclusivement sur les auteurs. L’environnement dans lequel les victimes vivent et subissent du racisme est souvent occulté par des faits strictement définis. Il est complètement inadapté pour servir d’instrument de lutte contre les discriminations structurelles sur le marché du travail et de l’immobilier ainsi que les comportements irrespectueux ou blessants au quotidien (y compris dans l’administration).
Davantage prendre en compte les expériences personnelles
Quand l’on parle de racisme et d’antisémitisme, il ne faut pas oublier que les expériences et émotions personnelles dépassent les cas individuels. Pour les victimes, la discrimination est à la fois une expérience personnelle et émotionnelleet une expériencequ’ils partagent avec d’autres personnes. [11] Le fait que les gens vivent la discrimination différemment ne change rien au fait qu’ils partagent une expérience commune. L’expérience individuelle et les expériences collectives interagissent. Les expériences de discrimination des personnes noires évoquent des traditions terribles telles que l’esclavage, le colonialisme et la perpétuelle histoire du racisme contre les Noirs. Elles doivent donc toujours être évaluées dans ce contexte. [12] Quand des enfants et hommes de la communauté juive orthodoxe ont peur de quelqu’un qui les suit (incident issu de la dernière chronologie de la GRA), il faut évaluer cet incident dans le contexte des actes de violence et crimes antisémites. Peu importe si la personne en état d’ébriété qui les a suivis était animée par des motivations antisémites ou était «simplement ivre». Pour les victimes, cela reste une expérience liée à leur judéité, «alcool ou non». Ce point de vue des victimes doit être reconnu et pris en compte lors de l’évaluation. Il ne suffit pas de se demander s’il existe des motivations antisémites tombant sous le coup du droit. En bref, dans un cas isolé, la discrimination raciste ou antisémite n’est pas seulement un comportement individuel. Elle est aussi toujours l’expression de rapportsexistants et transmis au fil de l’histoire. Les motivations individuelles pour chaque cas en sont relativisées. Cela montre également que le recensement des incidents tels qu’il est fait dans la présente chronologie donne des informations précieuses sur les formes de manifestations du racisme et de l’antisémitisme.
La justice a tranché: l’utilisation de connaissances n’est pas un jugement de valeur
Cela a des conséquences sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Il ne faut pas seulement des connaissances sur les comportements discriminatoires ou de la recherche sur les idées racistes et antisémites actuelles. Il faut surtout des connaissances sur les mécanismes transmis et historiques qui produisent la distinction raciste entre «nous» et «les autres» et renforcent durablement ces rapports. Dans l’opinion publique suisse, on a longtemps éludé les conséquences sociales du colonialisme, du racisme et de l’antisémitisme historiques ainsi que de leurs formes actuelles. [13] De telles connaissances sont cependant indispensables à la lutte concrète contre les discriminations. Elles constituent une base permettant de reconnaître les effets problématiques de comportements et règles apparemment neutres. Un exemple désormais connu du public d’une telle approche est le débat concernant le profilage racial et ethnique. Les raisons pour lesquelles les minorités sociales font sensiblement plus souvent l’objet de contrôles de police dans de nombreux pays européens sont complexes. On ne peut pas les réduire aux préjugés racistes des policiers. Un autre exemple est l’influences des débats publics. Ils influencent la perception envers les groupes exposés [14] et semblent avoir une influence sur le choix des cibles des actes discriminatoires concrets. [15] Les connaissances sont également nécessaires pour exposer les nouvelles formes de stéréotypes racistes et antisémites transmis. C’est pourquoi la sensibilisation requiert aussi toujours des connaissances.
Grâce à la GRA, il est désormais juridiquement prouvé que l’utilisation de ces connaissances n’est pas un simple jugementmais plutôt une évaluationcompétente et fondée. Comme le montre l’affaire GRA vs Suisse (ECHR 006/2018), la classification de propos comme «racisme verbal» n’est pas forcément un simple jugement de valeur. Au contraire, basée sur des connaissances spécialisées pertinentes, une telle évaluation a un fondement factuel. Il est important que des organisations telles que la GRA abordent la question du racisme et de l’antisémitisme, même si les cas isolés d’antisémitisme et de racisme ordinaires ne constituent que rarement une violation grave et recevable en justice des droits fondamentaux. Ils constituent tous les deux une atteinte à la dignité des individus et des petites attaques continuelles visant l’essence de nos droits fondamentaux.
ℹ Michael Bischof est directeur adjoint du bureau de promotion de l’intégration de la ville de Zurich.
Références bibliographiques
[1] Siehe dazu Stadt Zürich. 2018. Rassismusbericht 2017 [Link].
[2] Bundesamt für Statistik BFS. Erhebung Zusammenleben in der Schweiz (ZidS). 2016.
[3] Credit Suisse Sorgenbarometer 2018. S. 6.
[4] Siehe El-Mafaalani, Aladin. 2018. Das Integrationsparadox.
[5] Diese Distanzierung erfolgt dabei oft denselben Mustern. Siehe Messerschmidt, Astrid. 2010. Distanzierungsmuster. Vier Praktiken im Umgang mit Rassismus. In: Broden, Anne; Mecheril, Paul [Hrsg.]. 2010. Rassismus bildet. Bildungswissenschaftliche Beiträge zu Normalisierung und Subjektivierung in der Migrationsgesellschaft. Bielefeld.
[6] Siehe FRA 2018. Experiences and perceptions of antisemitism. Second survey on discrimination and hate crime against Jews in the EU.
[7] Siehe Baier, Dirk et al. 2019. Integration von Jugendlichen mit Migrationshinterfgrund in der Schweiz. Zürich. S. 47.
[8] Sachverständigenrat deutscher Stiftungen für Integration und Migration. 2018. «Wo kommen Sie eigentlich ursprünglich her?». Diskriminierungserfahrungen und phänotypische Differenz in Deutschland. Köln. S. 4.
[9] Locher, Reto. 2017. Der Zugang zur Justiz in Diskriminierungsfällen. In: Kaufmann, Claudia; Hausammann, Christina [Hrsg.]. 2017. Zugang zum Recht. Vom Grundrecht auf einen wirksamen Rechtsschutz. Basel. S. 55.
[10] Das zeigen etwa die EU-MIDIS-Umfragen der Europäischen Grundrechtsagentur. Siehe dazu auch Handfeld, Michael 2018. Sie melden es der Polizei nicht mehr. In FAZ online [Abfrage vom 27.01.2019, 09:58 Uhr].
[11] Siehe dazu Monique Eckmann, Monique. 2018. In: Stadt Zürich. 2018. Rassismus wirkt. Kommentare zum Rassismusbericht 2017. Tagungsdokumentation. Zürich. S. 17.
[12] Siehe. Hafner, Urs. 2018. Wir alle sind Rassisten. Es gibt keine Menschenrassen. Aber es gibt Rassismus. Und er ist überall, auch da, wo er eigentlich bekämpft wird. NZZ 19.9.2018.
[13] Symptomatisch hier etwa Bundespräsident Delamuraz Aussage in der Kontroverse rund um die Schweiz im Zweiten Weltkrieg, Auschwitz liege nicht in der Schweiz. Die Auseinandersetzung über die kolonialen Verstrickungen der Schweiz sind relativ jung. Siehe dazu Purtschert, Patricia et al. [Hrsg.] 2012. Postkoloniale Schweiz. Formen und Folgen eines Kolonialismus ohne Kolonien. Bielefeld.
[14] Zur «Flüchtlingsdebatte» siehe etwa Wehling, Elisabeth. 2016. Politisches Framing. Wie eine Nation sich ihr Denken einredet – und daraus Politik macht. Köln. Zur Berichterstattung über Muslime siehe Ettinger, Patrick. 2018. Qualität der Berichterstattung über Muslime in der Schweiz. Eine Studie im Auftrag der Eidgenössischen Kommission gegen Rassismus EKR. Bern.
[15] So stellt der DOSYRA-Bericht 2011 fest, «dass im Jahr 2010 ein beachtlicher Anteil der gemeldeten Fälle mit einer unterschwelligen, latenten, nicht näher definierten Ausländer- oder Fremdenfeindlichkeit, der Hautfarbe oder der muslimischen Religion in Zusammenhang standen, also mit Themen, welche in der schweizerischen Öffentlichkeit stark präsent waren.» Siehe Beratungsnetz für Rassismusopfer. 2011. Rassismusvorfälle in der Beratungspraxis. Januar bis Dezember 2010. Bern. S. 12.
2. Commentaire 2018: Le racisme en Suisse
Chronologie des incidents racistes
La chronologie des incidents racistes que la GRA publie en collaboration avec la Société pour les minorités en Suisse (GMS) a répertorié un total de 46 incidents relayés par les médias suisses en 2018.
Ces incidents englobent pour l’essentiel de cas de racisme verbal dans le domaine public et des manifestations xénophobes, dont des discours haineux de politiques sur leurs profils sur les réseaux sociaux. Ces messages incitent à la haine envers les étrangers, les Noirs, les musulmans, les Juifs et les homosexuels. Mais les médias suisses ont également relayé en 2018 quelques incidents avec insultes racistes en marge de matchs de football, des insultes proférées à l’encontre de personnes à l’apparence étrangère dans la rue ou dans des commerces ainsi que des insultes antisémites dans la rue et sur Internet. On a aussi observé la présence à deux reprises de slogans xénophobes dans des cortèges de carnaval, mais aussi des rencontres et manifestations d’extrême-droite ainsi qu’un cas de minimisation publique de l’holocauste par un politique. Les médias ont également rapporté à plusieurs reprises la présence d’inscriptions xénophobes.
Focus sur le racisme ordinaire du point de vue des victimes
L’observation des médias par la GRA reflète l’ambiance générale en Suisse et permet de comparer le nombre d’incidents par rapport aux années précédentes, mais elle n’a en aucun cas la prétention d’être exhaustive sur le plan statistique. En effet, le nombre d’incidents racistes non signalés reste élevé en 2018.
Très peu d’incidents sont signalés auprès des organismes compétents et les dépôts de plainte sont encore plus rares. Plus les lieux d’accueil (publics et privés) se font connaître auprès du grand public, plus le nombre d’incidents signalés est élevé. Et les chiffres ne peuvent pas exprimer tous les incidents, aussi et surtout parce que la Suisse ne tient aucune statistique officielle concernant le racisme et la discrimination raciale.
Outre les incidents relayés par les médias, de nombreux cas ont été signalés presque quotidiennement à la GRA, que ce soit via le site Internet de la GRA, par e-mail ou par téléphone. Nombre de ces incidents concernaient les discours haineux (sites Internet à contenu raciste, racisme dans des conversations Whatsapp ou sur des profils sur des réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram ou Twitter) mais aussi le racisme ordinaire (insultes ou discrimination lors de la recherche d’un emploi ou d’un logement, ou encore, comme signalé dans un cas, lors de l’ouverture d’un compte en banque). La GRA a lancé une campagne en ligne au printemps 2018 pour sensibiliser à la thématique importante qu’est le racisme ordinaire (https://gra.ch/fr/auslaendler/). Le clip intitulé «Der Ausländler» a remporté le prix suisse récompensant les productions de commande et films publicitaires Edi.18, qui est décerné chaque année par la Swissfilm Association.
Dans son rapport sur le racisme, la ville de Zurich écrit à propos de la discrimination raciale et du racisme ordinaire, entre autres, à quel point il est important de prendre au sérieux les expériences de discrimination personnelles des minorités. Au quotidien, les membres de minorités subissent souvent un racisme insidieux, que les personnes extérieures ou non concernées ont du mal à comprendre. «L’importance de considérer le point de vue des personnes concernées se manifeste par exemple en matière de racisme ordinaire. Les personnes ne subissant pas de discrimination n’arrivent souvent pas à comprendre les effets du racisme ordinaire. Ainsi, le racisme ordinaire est souvent minimisé», écrit la ville de Zurich dans son rapport. Et de poursuivre: «Les personnes qui abordent le racisme ordinaire et insidieux expliquent qu’on les considère comme «trop sensibles»ou «fragiles». C’est pourquoi il est difficile de parler de racisme ordinaire dans des situations concrètes.»
Des incidents racistes non relayés par les médias sont également publiés chaque année dans un rapport sur les incidents racistes recensés par les centres de conseil par le «Réseau de centres de conseil pour les victimes du racisme», qui est coordonné par humanrights.ch/MERS et la Commission fédérale contre le racisme (CFR). Ces rapports évaluent les cas saisis dans une base de données commune de manière anonyme par les centres de conseil affiliés. Par ailleurs, la CFR publie au début de l’été un rapport annuel relatant les décisions et les jugements rendus sur le plan national et international en matière de discrimination raciale dans différents domaines de l’existence (www.ekr.admin.ch).
Xénophobie et extrémisme
Une étude menée par deux enseignants de la Haute école zurichoise de sciences appliquées (ZHAW) et la Haute école pour le travail social de Fribourg montre également que la xénophobie insidieuse au quotidien et le rejet de l’«étranger» sont toujours présents dans de nombreuses têtes. Dans le cadre de l’étude, 8000 jeunes issus de dix cantons ont été interrogés en 2017: il en ressort que six pour cent des jeunes suisses sont d’extrême droite et sept pour cent d’extrême gauche. Seuls trois pour cent des jeunes musulmans interrogés étaient des extrémistes islamistes. Comme l’explique le professeur Dirk Baier de l’Institut pour la prévention de la délinquance et de la criminalité de la ZHAW, coauteur de l’étude, il en ressort qu’il ne faut en aucun cas relâcher les efforts en matière de prévention, même en période de recul du nombre d’actes de violence. En 2017, la Suisse a certes lancé le Plan d’action national, qui montre que la prévention est importante pour elle, mais, selon Dirk Baier, ce plan se focalise encore trop sur l’extrémisme islamiste. «Le monde politique doit prendre au sérieux les différents extrémismes et fournir des ressources suffisantes pour la prévention», explique Dirk Baier. Il ressort également de l’étude que la majorité des jeunes Suisses ne s’identifient pas à des positions extrémistes et adhèrent plutôt aux valeurs démocratiques. Selon Dirk Baier, cela signifie aussi que les écoles jouent un rôle important dans la prévention et l’éducation, et que l’éducation à la démocratie est mise en œuvre correctement.
(La GRA a interrogé Dirk Baier à la suite de la publication de l’étude. Retrouvez l’entretien complet ici)
La GRA a aussi reconnu que les écoles constituent un acteur important dans la sensibilisation et la prévention du racisme. Elle les soutient et développe continuellement des outils d’apprentissage relatifs aux thématiques du racisme et de l’antisémitisme, ainsi qu’à l’holocauste, pour les écoles et instituts de formation (pour en savoir plus: www.gra.ch/fr/education/education-et-formation).
En outre, la Fondation pour l’éducation et la tolérance (SET), organisation partenaire de GRA qui s’engage entre autres pour la promotion de la tolérance auprès des enfants en âge préscolaire, a été relancée en octobre 2018.
Antisémitisme
La Fédération suisse des communautés israélites (FSCI), qui recense les incidents antisémites, a répertorié 42 incidents antisémites en 2018. Ceci n’inclut pas les incidents sur Internet, qui sont analysés séparément. Ce chiffre n’englobe donc que les incidents en dehors d’Internet signalés à la FSCI ou évoqués dans les médias. En 2018, les faits les plus graves ont été une attaque au couteau contre un groupe de Juifs orthodoxes à Zurich, plusieurs insultes envers des Juifs dans la rue ainsi que le discours ouvertement antisémite de Tobias Steiger lors de la manifestation du PNOS à Bâle. Retrouvez le rapport complet de la FSCI sur l’antisémitisme sur le site www.antisemitisme.ch.
En 2018, la GRA a aussi dû davantage s’occuper d’incidents antisémites qui lui avaient été signalés. Il était surtout question de conseils pour des enseignants et d’incidents sur des terrains de sport et dans des écoles, notamment dans des lycées. Le problème du racisme existe dans les écoles du degré secondaire supérieur autant que dans les collèges et écoles professionnelles. La GRA se présente comme un interlocuteur pour les directions des écoles ainsi que les personnes concernées et peut jouer un rôle de médiateur dans les conflits et aider à trouver des solutions. Comme le montrent également les rapports annuels de la CFR sur les incidents racistes recensés par les centres de conseil, l’école est, après le lieu de travail, l’endroit le plus concerné par les incidents racistes. Ce sont surtout les jeunes Juifs qui en sont victimes, mais aussi les musulmans et les élèves noirs. Le point de départ est souvent des insultes dans des discussions Whatsapp ou sur les réseaux sociaux (www.gra.ch/fr/education/comportement-face-au-racisme-et-a-lantisemitisme-a-lecole), qui créent une dynamique difficile à arrêter. Pour cette raison, les écoles ont désormais davantage besoin de projets de prévention et de tolérance, c’est pourquoi la GRA a aussi, comme mentionné plus haut, relancé la Fondation pour l’éducation et la tolérance (SET) l’année dernière. Elle doit justement répondre à ce besoin.
Extrême droite
Le rapport de situation du Service de renseignement de la Confédération souligne que la thématique des réfugiés et de la migration a continué de perdre du terrain après le pic de 2015, parallèlement à la baisse des flux migratoires. La scène d’extrême droite a donc encore moins de motifs pour justifier l’organisation d’actions notables. Le Service de renseignement écrit que «la scène d’extrême droite fait profil bas comme jamais depuis des décennies» et que le potentiel de violence des extrémistes de droite reste inchangé. Pourtant, la chronologie des incidents racistes 2018 répertorie un nombre de défilés et rassemblements d’extrême droite légèrement supérieur à celui des années précédentes. L’importance sociale de la scène d’extrême droite reste toutefois réduite en Suisse par rapport à l’étranger.
Islamophobie
L’année dernières, plusieurs incidents islamophobes sont parvenus à la connaissance du public, par exemple un cas de discrimination à l’entrée d’une boîte de nuit ou des messages islamophobes sur Facebook à l’encontre d’un homme politique musulman, pour ne citer que ceux-là.
En 2018, l’institut de recherche Forschungsinstitut Öffentlichkeit und Gesellschaft de l’Université de Zürich a également réalisé une étude sur la qualité de la couverture médiatique des musulmans de Suisse à la demande de la CFR. L’étude a analysé un échantillon d’articles publiés entre 2009 et mi-2017 dans 18 médias papier des trois grandes régions linguistiques. Elle est arrivée à la conclusion qu’il y a une forte augmentation du nombre d’articles créant de la distance par rapport aux musulmans de Suisse. Ainsi, la part d’articles à connotation négative est passée de 22% à 69% entre 2009 et 2017. Cela s’explique en partie par la concentration sur les thèmes de la radicalisation et du terrorisme, comme le soulignent les auteurs de l’étude. Toujours selon l’étude, la presse présente surtout des musulmans affichant des positions radicales et parle généralement des musulmans en Suisse sans leur donner la parole.
Il s’agit déjà de la troisième étude de la CFR sur les minorités dans les médias. En 2013, une étude comparable a été réalisée à propos des Roms, et, quatre ans plus tard, concernant le racisme anti-Noirs. Il était aussi question du rôle que les médias peuvent jouer dans la lutte contre les discriminations. L’étude a mis au jour que les médias jouent un rôle parfois problématique dans la couverture médiatique des minorités.
Sinti et Roms
En 2018, la chronologie de la GRA a recensé seulement deux incidents concernant les Sinti et Roms. L’un d’entre eux est cependant grave: les Jeunes UDC de Berne ont incité à la haine envers les gens du voyage avec une affiche électorale. Malgré le faible nombre d’incidents révélés au public, la Suisse est encore loin de traiter correctement la minorité nomade. C’est ce que confirme l’avis sur la Suisse émis récemment par le Conseil de l’Europe pour la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. L’avis observe un manque d’aires de stationnement et de passage ainsi qu’une augmentation de l’intolérance à l’égard des Yéniches, Sinti et Roms. L’avis souligne également la discrimination à l’encontre des gens du voyage étrangers par rapport aux gens du voyage suisses ainsi que le fait que la reconnaissance des Roms comme minorité nationale n’ait toujours pas été mise en œuvre.
Mot de conclusion
Internet et ses diverses plateformes restent le principal lieu de diffusion du racisme et de l’antisémitisme verbaux. L’accès facile à des contenus et publications discriminatoires sur Internet, la vitesse effrénée à laquelle les textes circulent ainsi que l’abondance de textes font de la communication en ligne un lieu d’échange important de propos haineux de toutes sortes. Les discours haineux peuvent facilement conduire à de la violence dans le monde réel.
Le nombre d’incidents racistes non signalés reste également élevé en Suisse. Très peu d’incidents sont signalés auprès des organismes compétents et les dépôts de plainte sont rares.
En 2018, l’accent a été mis sur la sensibilisation de l’opinion publique suisse au problème du racisme ordinaire. Avec leur campagne nationale sur Internet et la réinterprétation de «Schacher Seppli», la GRA et la GMS luttent en musique contre toutes les formes de racisme ordinaire.
La prévention et la sensibilisation précoces dans les établissements scolaires, mais aussi le courage civil ainsi que des déclarations politiques claires restent indispensables pour lutter efficacement contre le racisme et la discrimination raciale. En effet, chaque attaque contre une minorité représente également une attaque contre les valeurs démocratiques de notre société.
Dans ce contexte, la chronologie de la GRA continuera d’assumer son rôle principal, celui de chien de garde, ainsi que d’évaluer de manière critique et de répertorier de façon systématique et selon des critères et catégories éprouvés les actes racistes, xénophobes et discriminatoires en Suisse, afin que les incidents discriminatoires qui s’y produisent actuellement soient rendus visibles et soient consignés et archivés pour les générations futures.
3. Entretien avec le professeur Dirk Baier à propos de l’étude «Idées extrémistes chez les jeunes Suisses»
Monsieur Baier, quelles conséquences tireriez-vous des résultats de l’étude? En d’autres termes, dans quel domaine faut-il agir en priorité selon vous?
Selon moi, l’une des conséquences principales de l’étude est d’abord la sensibilisation d’acteurs de toutes sortes. Par exemple, l’extrémisme de droite semble reculer en Suisse ces derniers temps. Les chiffres du Service de renseignement de la Confédération à cet égard baissent sensiblement. Nous avons cependant pu montrer que des idées d’extrême droite sont présentes dans les têtes de certains jeunes. Il y a toujours des comportements xénophobes, racistes et antisémites en Suisse. Une conclusion importante serait donc que la prévention ne doit en aucun cas être négligée, même en période de recul des actes de violence. Avec le Plan d’action national, la Suisse a montré que la prévention est toujours importante pour elle. Il se focalise néanmoins encore trop sur l’extrémisme islamiste. Au niveau politique, il faut affirmer que l’on doit prendre au sérieux les différents extrémismes et fournir des ressources suffisantes pour la prévention. Pour moi, il est important de souligner à cet égard que l’étude ne donne pas lieu de remettre en question tout ce qui a été fait par le passé. Même si l’enquête a fait apparaître des idées extrémistes, elle a aussi montré que la grande majorité des jeunes n’est pas d’accord avec les prises de position extrémistes et s’identifie plutôt à la démocratie et aux principaux principes démocratiques. À cet égard, les écoles jouent un rôle important. La formation à la démocratie semble être mise en œuvre correctement. Une autre conséquence que je tirerais des résultats est l’intensification de la prévention de l’extrémisme de gauche. Il n’existe jusqu’à présent que peu de stratégies de prévention de ce phénomène, très probablement parce qu’il y a des désaccords sur la frontière entre les idées démocratiques et les positions d’extrême gauche. Il faut donc différents acteurs pour développer ces stratégies. Selon moi, il y a, par exemple, une responsabilité de la part des scientifiques et universités.
Selon vous, quels groupes extrémistes représentent la plus grande menace?
La plus grande menace vient sans hésiter de groupes qui mettent impitoyablement en danger la vie d’individus, commettent des attentats et tuent pour défendre leurs objectifs. Je ne pense actuellement pas qu’il existe de tels groupes en Suisse. On ne peut pas exclure la possibilité qu’une personne isolée commette un tel acte. L’Allemagne a montré à plusieurs reprises que les véhicules, c’est-à-dire des objets accessibles à tout un chacun, peuvent être utilisés à cet effet et que les armes ne sont pas nécessaires. Je doute cependant qu’il y ait des groupes avec de tels projets. Quand nous parlons de menace, nous parlons d’un autre type de danger. Les groupes d’extrême gauche représentent actuellement le mouvement le plus actif en Suisse, mais ils s’expriment surtout par de la violence contre des biens matériels. Dans des cas isolés, on observe aussi des attaques contre des policiers. On ne peut pas les ignorer. Il n’existe toutefois pas de stratégie de violence contre les policiers, c’est-à-dire de qu’il n’y a pas d’attaques contre les commissariats, etc. Même s’il faut évoquer l’extrême gauche, il est globalement difficile pour moi d’établir une sorte de classement des groupes extrémistes en fonction de leur dangerosité. Bien que l’étude montre des taux d’approbation différents pour chaque type d’extrémisme, le résultat important est selon moi que toutes les idées extrémistes sont bien accueillies par un petit groupe de jeunes. Toutes les formes d’extrémisme présentent donc un potentiel. La question est de savoir si ce potentiel sera activé. Y a-t-il des événements qui poussent les jeunes à agir conformément à leurs idées? À Chemnitz, en Allemagne, nous avons vu comment un meurtre probablement commis par un réfugié a poussé des extrémistes de droite à agresser des réfugiés innocents. De tels événements déclencheurs sont aussi imaginables pour d’autres extrémismes. Globalement, cela signifie que tous les types d’idées extrémistes représentent un problème, parce qu’elles comportent un schéma «ami-ennemi» qui peut pousser à combattre violemment les personnes déclarées ennemies.
Comment expliquez-vous le potentiel de violence relativement bas des jeunes extrémises en Suisse par rapport à d’autres pays? Qu’est-ce que la Suisse ferait mieux que les autres?
Il n’existe actuellement pas de recherche systématique sur l’extrémisme comparant les pays. Nous ne pouvons donc pas affirmer avec certitude que la Suisse présenterait des chiffres inférieurs à la moyenne. L’hypothèse selon laquelle ce serait le cas est cependant légitime. En matière de délinquance juvénile et violence des jeunes, par exemple, nous savons que la Suisse fait bonne figure. Les raisons de cet état de fait pourraient également être efficaces dans la prévention de l’extrémisme. Il faut dire, entre autres, qu’il y a de bonnes perspectives pour les jeunes de finir l’école et de trouver une formation professionnelle puis un emploi. En Suisse, les familles pauvres et défavorisées ne sont pas non plus livrées à elles-mêmes, comme c’est le cas aux États-Unis. Il existe différentes mesures de soutien, telles que l’aide sociale, qui aident les familles financièrement. En Suisse, les écoles sont aujourd’hui sensibilisées aux thématiques de la violence et de l’extrémisme et mettent en œuvre différents projets de prévention, même s’il y a encore de potentiels progrès à faire en ce qui concerne l’extrême gauche. À cet égard, il convient aussi de mentionner le travail social dans le domaine de la jeunesse, par exemple le travail actif avec les jeunes en milieu ouvert. Il ne faut pas oublier que les réseaux sociaux des individus sont moins anonymes dans les villes de Suisse plutôt petites ou moyennes. On connaît mieux les habitants de son quartier, par exemple, on veille davantage les uns sur les autres et, comme le diraient les criminologues, on se contrôle davantage mutuellement dans son comportement. Il faut cependant aussi souligner que tout n’est pas encore parfait en Suisse. Ainsi, nous savons que l’on a plus souvent recours à la violence physique pour l’éducation des enfants que dans d’autres pays. Ces formes d’éducation ont aussi des répercussions sur les préjugés et le développement d’idées préconçues constituant la base de l’extrémisme. Le monde politique pourrait agir encore plus activement contre la violence dans l’éducation des enfants.
Monsieur Baier, merci pour cet entretien.
ℹ Le professeur Dirk Baier travaille à l’Institut pour la prévention de la délinquance et de la criminalité de la Haute école zurichoise de sciences appliquées (ZHAW) et a coécrit l’étude sur les idées extrémistes chez les jeunes Suisses.
4. Thématique duprofilage racial
exemple illustrant la discrimination structurelle en Suisse – par Andi Geu ℹ
Sékou A. descend du train en même temps que des centaines d’autres passagers. Nous sommes tôt le matin, dans une grande gare suisse. Les gens se hâtent sans hésiter vers la sortie ou les escalators qui mènent vers les correspondances. M. A. travaille depuis plusieurs mois dans la grande ville. Il porte un sac à dos et a un gobelet de café en main. Il traverse lentement la foule. Il voit une patrouille de la police locale accompagnée d’un chien policier à quelques mètres de lui. Les policiers examinent les passants. Est-ce que ça va arriver encore une fois? Sékou A. n’est pas en avance. Le train avait du retard. Pourtant, il est la seule personne de la foule à être interpellée: «Vos papiers, s’il vous plaît?»
Depuis quelques mois, on parle de plus en plus du phénomène du profilage racialen Suisse. C’est en partie dû à l’intérêt croissant des médias pour la violence policière aux États-Unis et le mouvement #BlackLivesMatter, qui ont aussi fait les gros titres en Suisse. C’est aussi dû à une procédure judiciaire au niveau local en Suisse, qui a poussé la presse à en parler et a provoqué une augmentation de la recherche sur ce phénomène. À cet égard, l’Alliance contre le Racial Profiling (www.stop-racial-profiling.ch), une association de personnes et organisations investies dans la lutte contre le racisme structurel, ainsi que différents projets de dialogue d’institutions et de la société civile ont réussi à faire connaître la thématique au grand public.
Terminologie
L’expressionprofilage racialdésigne toutes les formes de contrôles discriminatoires à l’encontre de groupes de personnes perçus comme «différents» d’un point de vue ethnique ou religieux par des policiers.
La notion de profilage racialvient des États-Unis, où ce sont surtout les Afro-Américains et personnes avec des origines latino-américaines qui font l’objet de contrôles de police plus souvent que la moyenne. À cet égard, on parle aussi de profilage ethnique, parce que la couleur de peau ne représente pas le seul critère donnant lieu à des contrôles abusifs. En Suisse, ce sont, outre les individus à la peau foncée, les personnes originaires des Balkans (surtout les Roms) et des pays arabes ainsi que les musulmans qui sont concernés par ces contrôles de police injustifiés.1
Le profilagedésigne le fait de cataloguer des individus dans un but précis. On les classe dans des catégories sociales, par exemple en fonction du sexe, de l’âge, de la classe sociale, de l’ethnie, du rôle social, de l’orientation sexuelle, etc. Ce processus a lieu de manière spontanée dans tous les rapports interpersonnels. Dans certains contextes, la catégorisation sociale est utilisée comme méthode pour atteindre certains objectifs. Ainsi, un recruteur de joueurs cherche des footballeurs en utilisant certains critères de recherche (défenseur, moins de 21 ans, moins de 100 000 francs, etc.). Une spécialiste en marketing essaye de déterminer le public cible de son produit en identifiant certaines particularités du produit et en les associant à certaines catégories sociales, qui permettent ensuite de définir le groupe cible. Ces deux exemples constituent du profilage au sens de la catégorisation d’individus dans un but précis.
Le profilage est également une méthode de travail importante pour la police, surtout pour les enquêtes liées à un délit. Un profil de l’auteur est alors créé sur la base des témoignages, indices sur le lieu du délit et hypothèses concernant le déroulement des faits. Il comprend, entre autres, des caractéristiques sociales. Si la police tombe sur des individus correspondant à ce profil, ceux-ci sont considérés comme suspects et sont contrôlés. Tant que ces profils se basent sur des faits objectifs, qui constituent des indications sérieuses statistiquement prouvées d’activités criminelles, il n’y a rien à redire concernant ce profilage criminel.
Profilage problématique
Ce n’est pas la première fois que la police demande à Sékou A. de présenter ses papiers. Ça arrive parfois tous les mois, parfois même toutes les semaines. Il a déjà essayé plusieurs réactions: il est généralement poli et présente son passeport suisse, qu’il a toujours sur lui quand il n’est pas à la maison. Autrement, il ne fait que se compliquer la vie. Mais Sékou A. s’irrite aujourd’hui d’être une fois de plus contrôlé alors que tous les autres voyageurs peuvent tranquillement poursuivre leur route. Il demande: «Y a-t-il des éléments concrets qui vous poussent à me contrôler?»
Le profilage ethnique devient un problème quand la méthode est utilisée de manière discriminatoire. Dans la pratique, ce reproche est surtout fait en lien avec des contrôles par la police et les autorités chargées de la surveillance des frontières, et ce quand deux conditions sont remplies:
- Le comportement de la personne contrôlée ne justifie pas un contrôle.
- La personne contrôlée est perçue comme «étrangère» d’un point de vue ethnique ou religieux par le personnel de sécurité en raison de son apparence.
Dans un tel cas, il est très probable que la catégorisation dans un groupe constitue la raison principale du contrôle. Cela doit être considéré comme une différence de traitement objectivement injustifiées, c’est-à-dire une discrimination illégale.
Profilage objectivement justifié
Par contre, quand la catégorisation ethnique ou religieuse constitue un élément objectivement justifié, par exemple dans le signalement d’une personne recherchée, il s’agit aussi de profilage, mais il ne présente pas de caractère discriminatoire, parce qu’il est objectivement justifié.
En Suisse, la police a pour mission, entre autres, d’appliquer les mesures relatives au droit des étrangers. Dans la réalité, il est ainsi souvent difficile de prouver si un profilage est injustifié, et donc raciste, ou s’il ne l’est pas. Un contrôle peut par exemple être justifié en se référant au droit des étrangers, mais le sentiment subjectif d’exclusion et de contrôle abusif est toujours présent chez les personnes concernées, surtout quand elles discutent avec des connaissances à la peau claire à propos de la fréquence à laquelle elles sont contrôlées par la police.
Discrimination structurelle
Quand l’on essaye de discuter avec la police de profilage raciste, elle affirme souvent qu’il s’agit de cas isolés particulièrement rares, qui sont combattus en interne. On explique souvent que ces cas concernent des policiers débutants et inexpérimentés. Ces explications contredisent cependant les descriptions faites par de nombreuses personnes concernées par le profilage raciste, qui ne sont pas seulement contrôlées par des jeunes agents et se sentent tout de même discriminées.
Au contraire, le profilage raciste semble être un phénomène qui constitue un exemple typique du fonctionnement de la discrimination structurelle. La discrimination structurelle se produit le plus souvent quand les actes de discrimination ne sont pas dus à de mauvaises intentions d’individus mais se manifestent bien trop souvent. Les raisons de ces biais peuvent par exemple être des pratiques historiques, des préjugés ou des privilèges. Il s’agit généralement d’une combinaison de différents facteurs qui fait que, par exemple, les enfants issus de l’immigration sont plus souvent envoyés dans des écoles ne permettant pas l’accès à l’université, que les femmes sont surreprésentées dans les secteurs offrant des conditions de travail précaires et des salaires peu élevés ou que les personnes à la peau foncée sont plus souvent contrôlées par la police.
Les conséquences pour les personnes concernées sont néanmoins graves. C’est justement dans de tels cas que de nouveaux processus, décisions et dispositions sont nécessaires afin de changer le système structurellement discriminant. L’institution dans son ensemble doit s’engager dans la lutte contre les discriminations culturelles. Il s’agit donc d’une thématique-clé pour chaque institution. Les employés, aussi pleins de bonne volonté soient-ils, ne pourront apporter que des changements limités sans le soutien de leur direction. Un soutien investi en interne pour une thématique dans la majorité des institutions est cependant nécessaire pour pousser la direction à changer les choses. Il existe de nombreuses approches possibles pour que les corps de police s’attaquent au phénomène du profilage racial au niveau structurel: dans le recrutement, dans la formation et la formation continue ainsi que dans l’assurance qualité pour les contrôles, dans le dialogue entre la police et les groupes de personnes souvent contrôlés, dans le traitement des plaintes des personnes contrôlées ou la consignation des contrôles effectués, ou encore dans le système de tickets2, souvent réclamé sur la scène politique.
Bilan
La conduite calme et polie de Sékou A. a porté ses fruits. La patrouille de police a remis son comportement en question, a renoncé à contrôler l’identité de M. A. et lui a présenté ses excuses.*
Cependant, nous n’avons pas besoin de policiers «plus sympathiques» pour réduire le nombre de cas de profilage raciste (et d’autres formes de discrimination structurelle) et arriver à davantage de réactions telles que celle de l’exemple ci-dessus. Ce n’est que si les polices assument leur responsabilité et prennent la décision au niveau institutionnel et au niveau de la direction qu’il s’agit en effet d’un problème structurel auquel il faut apporter une solution. Ainsi, cette réaction deviendra habituelle et les contrôles ethniques objectivement injustifiés disparaîtront.
*L’exemple de Sékou A. a été créé à des fins d’illustration.
ℹ Andi Geu est codirecteur de NCBI Suisse, le National Coalition Building Institute Suisse. Il a étudié la philosophie, la sociologie et la théologie à l’Université de Berne et travaille pour NCBI à titre d’activité principale depuis 2003.
Références bibliographiques
[1] Retrouvez des informations contextuelles supplémentaires concernant le phénomène du profilage racial dans le dossier thématique de humanrights.ch (cf. https://www.humanrights.ch/fr/dossiers-droits-humains/racisme/delit-de-facies/) ainsi que dans un document en allemand de l’Alliance contre le Racial Profiling (accessible à l’adresse www.stop-racial-profiling.ch/wp-content/uploads/2016/10/Dokumentation_def.pdf).
[2] L’idée d’un système de tickets pour les contrôles de police prévoit que les corps de police cantonaux et municipaux délivrent à la personne contrôlée un ticket reprenant par écrit le but, le lieu, l’heure et le motif du contrôle. L’objectif est d’arriver à une gestion des contrôles plus consciencieuse et réfléchie et de donner aux personnes régulièrement contrôlées une preuve qu’elles font souvent l’objet de contrôles.
5. Le dialogue interreligieux comme instrument de prévention de la discrimination
par Marc Bundi ℹ
Le dialogue interreligieux qualifie le processus de communication et de coopération entre croyants de différentes religions et de différents horizons culturels dans un climat de respect mutuel. Les participants au dialogue se reconnaissent les uns les autres comme des partenaires égaux dans leurs différences fondamentales. Ils sont ouverts à leur tradition religieuse et à celle des autres et respectent les convictions religieuses différentes. L’objectif est de surmonter les revendications d’absolutisme et d’exclusivité de sa religion et de mettre sur un pied d’égalité les revendications de vérité des différentes religions.
Le dialogue interreligieux est cependant aussi un projet social visant la coexistence indépendante, équitable et pacifique de personnes de différentes religions. À cet égard, il faut respecter les différences tout en cherchant une base commune permettant de construire une cohabitation sociale fructueuse dans un respect réciproque et en bonne intelligence.
L’objectif principal du dialogue interreligieux, au niveau local, social et international, réside dans la promotion d’une coexistence pacifique et égalitaire ainsi que dans la prévention de la radicalisation.
Depuis les années 1990, les processus de migration, d’individualisation et de différenciation ont créé en Suisse un paysage religieux et idéologique hétérogène. La pluralisation religieuse croissante et la sécularisation progressive de la société provoquent des changements dans les relations entre l’État et la religion. Le canton de Zurich a réagi à ces changements et a présenté un guide pour l’organisation des relations entre l’État et la religion en novembre 2017. Son premier principe établit que les Églises et communautés religieuses sont essentielles pour la communauté, parce qu’elles contribuent à la construction d’un socle de valeurs, qui est indispensable pour la communauté et que l’État laïque ne peut lui-même créer. Ainsi, la reconnaissance par l’État du rôle social important de la religion pour l’organisation de la communauté est orientée vers l’avenir. Son deuxième principe établit que les religions préservent la paix publique et participent à la création d’une coexistence solidaire et pacifique en transmettant des valeurs telles que l’amour du prochain, la tolérance et la non-violence. Avec l’État, les communautés religieuses sont aujourd’hui des acteurs centraux pour une coexistence pacifique et tolérante, au même titre que d’autres acteurs de la société civile. À cet égard, les Églises reconnues par l’État, en tant qu’organisations intermédiaires, sont conscientes de leur rôle social et politico-religieux particulier pour la paix religieuse et sont prêtes à développer et à approfondir le dialogue interreligieux. Elles s’efforcent également d’aider les communautés religieuses nouvellement arrivées à s’adapter au système du droit des religions en vigueur et à s’intégrer dans la société. En raison du détachement croissant de la société envers la religion et de la pluralisation religieuse dans le contexte de la migration, les Églises doivent mettre en œuvre de nouveaux processus de dialogue et réfléchir de manière critique au dialogue déjà en cours.
Depuis 2004, l’Église réformée du canton de Zurich emploie une personne responsable du dialogue interreligieux. Avec son travail, elle contribue au développement et à l’entretien des relations constructives avec les communautés religieuses non chrétiennes et, en tant qu’organe intermédiaire, s’engage pour une coexistence et une coopération fructueuse entre les communautés religieuses présentes dans le canton. Dans le cadre de cette mission, elle collabore étroitement avec les acteurs des plateformes interreligieuses. Dans le canton de Zurich, il existe actuellement trois plateformes pour le dialogue interreligieux, qui découlent toutes d’initiatives de pasteurs réformés:
Zürcher Institut für interreligiösen Dialog (ZIID)
Le Zürcher Institut für interreligiösen Dialog (Institut zurichois pour le dialogue interreligieux) (appelé Zürcher Lehrhaus de 1994 à 2015) découle d’une initiative du pasteur Martin Cunz. Le ZIID est un institut de formation qui se consacre au dialogue interreligieux entre judaïsme, christianisme et islam. Les priorités du ZIID incluent la transmission du savoir, le travail d’information, la formation, la sensibilisation, le conseil, la mise en réseau ainsi que la publication d’articles scientifiques.
https://www.ziid.ch/
Zürcher Forum der Religionen
Le Zürcher Forum der Religionen (Forum zurichois des religions) a été fondé en 1997 à l’initiative du pasteur Peter Wittwer. Il se veut un regroupement de communautés religieuses et agences publiques du canton de Zurich et sert de lien entre les cinq grandes religions mondiales: l’hindouisme, le bouddhisme, le judaïsme, le christianisme et l’islam. Le Zürcher Forum der Religionen s’engage aussi bien en faveur du dialogue interreligieux que de l’échange entre les institutions religieuses et politiques.
http://www.forum-der-religionen.ch/
Interreligiöser Runder Tisch du canton de Zurich
L’Interreligiöse Runde Tisch (Table ronde interreligieuse) a été fondée en 2004 à l’initiative du pasteur Ruedi Reich, qui était à l’époque président du Conseil synodal. Dans le cadre de la table ronde, les responsables des communautés religieuses présentes dans le canton de Zurich se rencontrent régulièrement pour échanger des idées et des réflexions. On y discute de problèmes et projets actuels et y émet parfois des avis publics. L’Interreligiöse Runde Tisch réalise également un travail de médiation entre les communautés religieuses et les autorités à différents niveaux.
http://www.rundertisch.ch/
Le point commun de ces trois organisations est qu’elles agissent contre le repli des communautés religieuses sur elles-mêmes, s’engagent en faveur de la liberté religieuse et de la paix religieuse et servent la cohésion sociale. En outre, elles s’opposent à toute forme de discrimination, en particulier à la discrimination fondée sur l’appartenance religieuse.
Contrairement aux initiatives de paix religieuses «unilatérales», le dialogue interreligieux favorise la rencontre directe et l’échange avec les autres. Il contribue à créer un climat de confiance entre des membres de différentes communautés religieuses, à démonter les préjugés ainsi qu’à développer une meilleure compréhension réciproque et un respect mutuel. Dans ce contexte, le dialogue désigne d’une part un processus d’individuation: ce n’est qu’en rencontrant l’autre qu’un individu découvre ce qui le rend unique et particulier. Martin Buber a exprimé cette conception dans les termes suivants: «L’Homme devient Je par le Tu». Le dialogue est cependant aussi un processus d’apprentissage sur soi-même, un processus intérieur de découverte de soilors duquel on réfléchit de manière critique aux points de vuesubjectifs et lors duquel on les remet en question. Rencontrer l’autre offre la possibilité de voir le monde sous un autre angle, d’élargir son horizon et de se développer personnellement grâce à cette expérience.
Le dialogue interreligieux favorise également la solidarité entre les membres des différentes communautés religieuses et est source de compréhension et de confiance au sein de la population. Les responsables des trois plateformes pour le dialogue interreligieux du canton de Zurich plaident contre les préjugés sociaux et la discrimination qui en résulte lors de prises de positions publiques et contribuent à objectiver les débats chargés politiquement et émotionnellement grâce à des articles de fond et d’opinion, dépliants et guides.
À cet égard, le dialogue interreligieux (et interculturel) est également un outil de prévention de la discrimination et de la radicalisation. Le «Rapport sur les mesures prises par la Confédération pour lutter contre l’antisémitisme en Suisse» du Service de lutte contre le racisme (2017: 18) ainsi que le «Plan d’action national de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent» (2017: 17) attirent l’attention sur le dialogue interreligieux comme instrument de prévention. En Allemagne, le contrat de coalition de 2005 contenait déjà un passage érigeant le dialogue en notion-clé de la politique de prévention: «Un dialogue interreligieux et interculturel n’est pas seulement un élément important de la politique d’intégration et de la formation politique, il sert aussi la prévention du racisme, de l’antisémitisme et de l’extrémisme ainsi que la lutte contre ces phénomènes.» Les documents cités montrent que la politique d’intégration passe de plus en plus par le dialogue interreligieux. Ce lien étroit entre intégration et dialogue peut cependant aussi être remis en question. À cet égard, le spécialiste des sciences politiques et sociales Levent Tezcan (2006; cf. Schmid 2010: 520-521) rappelle que l’institutionnalisation croissante de la structure de dialogue et son orientation claire pour la politique d’intégration présentent un risque de contrôle politique du dialogue interreligieux et un risque «d’échec de ce que qui est essentiel dans le dialogue: l’ouverture à l’autre» (Tezcan 2006: 32). Et c’est justement cela que les projets de dialogue doivent accomplir s’ils veulent vraiment contribuer à mettre fin aux préjugés, à la xénophobie et au racisme: il faut s’ouvrir à l’autre, aller vers lui et le rencontrer.
ℹ Marc Bundi est responsable du département «Relations et dialogue interreligieux» de l’Église réformée du canton de Zurich.
Références bibliographiques
Buber Martin, Je et Tu. Berlin, 1922.
CDU Deutschlands/CSU Landesleitung /SPD Deutschlands(Hrsg.), Gemeinsam für Deutschland. Mit Mut und Menschlichkeit. Koalitionsvertrag von CDU, CSU und SPD. Rheinbach, 2005.
Réseau national de sécurité / Le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports, Plan d’action national de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent, 4 décembre 2017.
Schmid Hansjörg,Integration durch interreligiösen Dialog? Versuch einer Verhältnisbestimmung, Dans: Die Rolle der Religion in der Integrationspolitik. Die deutsche Islamdebatte, 2010.
Service de lutte contre le racisme (SLR)du Département fédéral de l’intérieur, Rapport sur les mesures prises par la Confédération pour lutter contre l’antisémitisme en Suisse 10 octobre 2017.
Tezcan Levent, Interreligiöser Dialog und politische Religionen. Dans: Aus Politik und Zeitgeschichte, 28/29, 2006.
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