Norme pénale anti-discrimination
Argumentaire sur l’art. 261bis CP
Libellé
Quiconque, publiquement, incite à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle,
quiconque, publiquement, propage une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique cette personne ou ce groupe de personnes,
quiconque, dans le même dessein, organise ou encourage des actions de propagande ou y prend part,
quiconque publiquement, par la parole, l’écriture, l’image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaisse ou discrimine d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle ou qui, pour la même raison, nie, minimise grossièrement ou cherche à justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité,
quiconque refuse à une personne ou à un groupe de personnes, en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle, une prestation destinée à l’usage public,
est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
La norme pénale contre la discrimination permet de poursuivre pénalement l’incitation à la haine raciale, la discrimination raciale et la négation des crimes contre l’humanité.
La norme pénale contre la discrimination et l’incitation à la haine (art. 261bis CP, ci-après « norme pénale anti-discrimination ») vise à protéger l’individu et les groupes d’individus de l’incitation à la haine, de la discrimination et de l’atteinte à la dignité humaine en raison de son/leur appartenance à une « race », une ethnie ou une religion. En 2020, l’article a été étendu aux discriminations fondées sur l’orientation sexuelle. Chaque être humain naît avec le droit inconditionnel à être reconnu comme l’égal de ses semblables et bénéficiant des mêmes droits, et à ne pas être défini ou traité comme un être inférieur. La norme pénale anti-discrimination vise donc un but qui devrait être considéré comme évident par tous, mais dont l’expérience montre qu’il ne l’est véritablement dans aucune société et aucun pays.
La religion en tant que telle n’est pas protégée par la norme pénale anti-discrimination. Il n’est pas punissable d’exprimer un avis critique sur le christianisme, de se moquer de Moïse ou de dessiner des caricatures de Mahomet, dans la mesure où cela ne dénigre ni ne discrimine les membres de la religion concernée. La norme pénale anti-discrimination protège dès lors les personnes et non les religions.
La norme pénale anti-discrimination existe en Suisse depuis 1995. Le recueil de cas juridiques de la CFR montre qu’elle est appliquée avec succès par les tribunaux et les ministères publics et qu’elle offre un moyen efficace aux victimes de la discrimination raciale ou d’homophobie de défendre leurs droits.
Exemple de condamnation
L’autorité de poursuite pénale a condamné une personne pour discrimination raciale parce qu’elle avait menacé des personnes ayant un mode de vie itinérant de les écraser avec une pelle mécanique et de mettre le feu à leur caravane pour détruire ce « Sauzigeunerpack » (« tous ces cochons de tziganes »). Par la suite, elle était passée avec sa voiture à grande vitesse à côté des caravanes et des enfants qui jouaient.
Exemple d’acquittement
Une personne a été accusée d’avoir traité devant un restaurant un groupe de personnes de «Huere Albaner» («putains d’Albanais») et «Scheiss Jugos» («Yougos de merde »). La personne accusée a été acquittée par le Tribunal de deuxième instance, au motif que l’atteinte à la dignité humaine au sens de l’art. 261bis CP n’était pas donnée parce que les propos ne refusaient pas aux Albanais en tant que personnes le droit de vivre sur un pied d’égalité avec les autres membres de la communauté nationale et qu’ils n’avaient pas été traités en êtres inférieurs.
Ces exemples montrent que les propos et les actes offensants ou discriminatoires à l’égard de membres d’une autre « race », religion, ethnie ou orientation sexuelle ne sont pas toujours punis. La norme pénale anti-discrimination est à considérer comme une ligne rouge définissant la limite à partir de laquelle un acte raciste ou homophobe devient punissable. Pour autant, cela ne signifie pas que tous les actes qui ne dépassent pas cette limite sont acceptables.
On reproche souvent à la norme pénale anti-discrimination de ne pas définir assez clairement ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Comme toute norme pénale, l’art. 261bis CP est soumis à l’interprétation des tribunaux. Les dispositions pénales visant à définir et à décrire une injustice impliquent nécessairement l’emploi de termes qui expriment un jugement de valeur. Une norme pénale n’est pas un mode d’emploi détaillé que l’on peut appliquer à chaque cas individuel, mais doit être interprétée au cas par cas en tenant compte de la situation concrète.
Dans le cadre du droit pénal, on recense ainsi un nombre incalculable de descriptions plutôt « ouvertes » de délits qui sont appliquées depuis des décennies. On songera, par exemple, à l’art. 173 CP (diffamation), qui contient l’expression « conduite contraire à l’honneur » (que signifie exactement « contraire à l’honneur » ?), ou à l’art. 146 CP (escroquerie), selon lequel le coupable doit avoir «astucieusement induit en erreur» sa victime (à partir de quand induit-on « astucieusement » en erreur ?).
Dans les débats qui ont lieu autour de l’art. 261bis CP, il importe donc de souligner que, eu égard à la nécessité d’interprétation, la norme pénale anti-discrimination ne se différencie guère des autres normes du droit pénal.
En bref : depuis 1995, la norme pénale contre la discrimination et l’incitation à la haine est appliquée par les tribunaux et les ministères publics pour punir l’incitation à la haine raciale (et depuis 2020 aussi homophobe), la discrimination et la négation des crimes contre l’humanité. Comme d’autres normes pénales, la norme pénale anti-discrimination n’est pas un mode d’emploi détaillé sur la manière de traiter chaque cas concret. Il incombe aux tribunaux d’examiner les faits au cas par cas et de décider du caractère punissable d’un acte. La norme pénale ne permet pas d’empêcher les comportements racistes ou homophobes. Une telle mission n’est d’ailleurs pas le but d’une norme pénale, mais bien celui d’un travail actif de sensibilisation.
La norme pénale anti-discrimination punit les actes et les propos dénigrants et discriminatoires dans l’espace public ; ce n’est ni une muselière ni un traité de morale.
La formulation de la norme pénale contre la discrimination et l’incitation à la haine (ci-après « norme pénale anti-discrimination ») montre clairement que seuls les actes et déclarations qui nient publiquement le droit à l’égalité, voire à l’existence, d’un individu ou d’un groupe d’individus en raison de son/leur « race », ethnie, religion ou orientation sexuelle font l’objet de sanctions pénales.
Exemples
- l’incitation à la haine et à la discrimination
- le dénigrement et le rabaissement systématiques (p.ex. propagation d’idéologies
racistes) - l’organisation d’actions de propagande
- l’atteinte à la dignité humaine et l’abaissement ou la discrimination d’une personne de
quelque manière que ce soit (par des mots, des écrits, des images, des gestes ou des
voies de fait) - la négation, la minimisation grossière ou la justification d’un génocide ou de tout autre
crime contre l’humanité - le refus d’une prestation destinée à la communauté pour des motifs racistes ou
homophobes
En revanche, les convictions et les pensées ne sont pas punissables.
Un acte est considéré public dès lors qu’il n’a pas lieu dans le cadre familial ou amical ou dans un contexte de relations personnelles ou empreint d’une confiance particulière. Le caractère public ou non de l’acte dépend donc de ses circonstances concrètes. Le nombre de personnes joue un rôle subsidiaire.
En 2004, dans un arrêt qui fera date, le Tribunal fédéral s’est penché sur la question de savoir si un exposé sur la genèse des SS et des Waffen-SS présenté dans un refuge forestier devant quelque 50 invités du milieu skinhead constituait une déclaration publique ou non. Les personnes invitées à l’exposé avaient reçu une invitation écrite. Le Tribunal fédéral a retenu que tout ce qui n’est pas considéré privé au sens de l’art. 261bis CP doit être considéré public. Les déclarations et les comportements doivent toujours être considérés comme privés, selon cet arrêt, lorsqu’ils interviennent « dans le cercle familial ou amical restreint ou dans un environnement marqué par des rapports personnels ou de confiance particuliers ». Le simple constat que les participants d’une manifestation ont les mêmes convictions ne signifie pas que ceux-ci aient également tissé entre eux des liens d’amitié.
Cet arrêt – contrairement à certaines allégations – n’a pas élargi le champ d’application de la norme pénale anti-discrimination de manière significative. Déjà avant cet arrêt du Tribunal fédéral, les propos racistes tenus par exemple à la table d’un restaurant étaient considérés comme punissables dans la mesure où d’autres personnes présentes dans le restaurant pouvaient les entendre. A ce jour toutefois, la CFR n’a eu connaissance d’aucun jugement portant sur une discussion tenue à la table d’un restaurant et qui aurait débouché sur une condamnation.
La question de savoir à partir de quel moment un acte est considéré public ne date pas de la norme pénale anti-discrimination. Le caractère public existe depuis bien plus longtemps et apparaît dans de nombreuses autres normes. Aussi, il existe déjà une vaste jurisprudence à ce sujet (p. ex. art. 259 et art. 261 CP).
En bref : si quelqu’un est diffamé ou offensé en raison de son appartenance à une « race », une ethnie, une religion ou une orientation sexuelle, par des paroles prononcées ou des actes commis en public, cela relève de la norme pénale contre la discrimination et l’incitation à la haine. En revanche, les convictions et les pensées ne sont pas punissables.
La norme pénale anti-discrimination protège la dignité humaine, qui est au cœur de tous les droits fondamentaux et ne peut être bafouée sous le couvert de la liberté d’expression.
L’objectif principal de l’art. 261bis CP n’est pas d’empêcher les opinions racistes, mais de protéger la paix sociale et la dignité des victimes. La jurisprudence du Tribunal fédéral le confirme également, estimant qu’il y a lieu de tenir suffisamment compte de la liberté d’expression dans l’interprétation de l’art. 261bis CP.
Dans leurs efforts entrepris en vue de supprimer ou d’affaiblir la norme pénale anti-discrimination, ses opposants ont toujours affirmé qu’elle limitait la liberté d’expression. Cependant, les faits démontrent que d’autres normes pénales sont également susceptibles de limiter la liberté d’expression. Ainsi, le Code pénal limite par exemple la liberté d’expression dans le cadre de l’atteinte à l’honneur (diffamation, calomnie, injure, art. 173-177 CP).
La liberté d’expression n’est pas absolue
La jurisprudence du Tribunal fédéral démontre que la liberté d’expression n’est pas absolue, tant au niveau national qu’international. Comme toute autre liberté individuelle, elle peut être limitée pour des raisons d’intérêt public majeur ou pour protéger les droits fondamentaux de tiers.
Ainsi, l’exercice de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et de la liberté d’information peut porter atteinte au droit à la protection de la personnalité et de la sphère privée. Pareil conflit entre des droits fondamentaux exige une pesée d’intérêts qui tienne compte de la situation et des intérêts concrets. C’est alors au tribunal qu’incombe la responsabilité de décider à quel droit il conviendra de donner la priorité.
Aucun droit humain ne permet de porter atteinte à la dignité humaine
Il n’y a pas de conflit opposant la lutte contre le racisme et la liberté d’expression, qui sont deux droits fondamentaux. Le postulat selon lequel il existe un conflit de droits fondamentaux entre l’art. 261bis CP et la liberté d’expression est aussi une aberration du point de vue juridique. La protection de la dignité humaine, qui fait l’objet de la norme pénale anti-discrimination, est un principe inviolable qui se trouve au cœur de tous les droits fondamentaux, et donc également de la liberté d’expression. Il n’est pas concevable que les droits fondamentaux d’une personne puissent être utilisés en vue de porter atteinte à la dignité humaine d’autres personnes. Aucun droit humain ne permet de porter atteinte à la dignité humaine.
En bref : la dignité humaine est un principe inviolable qui se trouve au cœur de tous les droits fondamentaux. Elle est protégée à ce titre par la norme pénale anti-discrimination. La liberté d’expression est un droit fondamental important qui, cependant, ne saurait être utilisé pour porter atteinte à la dignité humaine d’autres personnes. Il n’existe aucun droit humain qui permette d’attenter à la dignité humaine !
La norme pénale anti-discrimination veille à garantir que le débat politique ne soit pas mené au détriment des personnes d’une autre « race », ethnie, religion ou orientation sexuelle.
Dérives politiques et avalanche d’inculpations et de condamnations font parties des craintes souvent exprimées par les opposants à la norme pénale anti-discrimination. Afin de dissiper ces craintes, il suffit de jeter un œil à la jurisprudence et aux statistiques de la CFR concernant les décisions et les arrêts relatifs à l’art. 261bis CP.
Les cas dans lesquels la personne accusée est un acteur politique ne représentent que moins de 10 % des décisions relatives à l’art. 261bis CP. Et seule la moitié de ces décisions a abouti à une inculpation. Dans la grande majorité des cas, il apparaît clairement que la norme pénale anti-discrimination n’est pas détournée pour museler les acteurs politiques, ce que confirme également la jurisprudence.
Le Tribunal fédéral relève que les exigences sont particulièrement strictes lorsqu’il s’agit de déclarations politiques. En effet, les propos tenus à l’occasion de débats politiques ne doivent pas toujours être pris au pied de la lettre : il est courant en effet que ces débats soient ponctués d’un certain nombre de raccourcis ou d’exagérations. Il en va de même pour les affiches diffamatoires placardées par certains partis politiques lors de votations et qui n’avaient encore jamais fait l’objet de sanctions jusqu’à il y a peu. Les autorités avaient à chaque fois rapidement clos les procédures judiciaires.
La condamnation de 2017 concernant l’affiche intitulée « Kosovaren schlitzen Schweizer auf » (« Des Kosovars poignardent un Suisse ») représentait le premier cas de sanction à l’égard d’une affiche au caractère ouvertement diffamatoire. Depuis lors, il n’existe qu’un seul cas comparable.
Le débat politique se déplace toujours plus vers Internet. L’anonymat supposé lève certaines inhibitions à exprimer des propos racistes, discriminatoires et diffamatoires. C’est justement dans ce contexte que la norme pénale anti-discrimination montre toute son importance. Elle empêche que certains discours politiques se transforment en campagnes d’incitation à la haine. Ces derniers temps, les propos racistes ou homophobes d’acteurs politiques n’ont cessé de se multiplier sur les réseaux sociaux et dans les médias, allant jusqu’à une condamnation dans certains cas particulièrement graves. On notera cependant qu’il s’agit en l’occurrence de propos tenus par des particuliers en dehors d’un contexte politique.
En bref : en matière de propos politiques, on accorde une grande importance à la liberté d’expression. Cela étant, la norme pénale anti-discrimination fixe une ligne rouge qui ne peut être franchie pour des raisons de protection de la dignité humaine.
Internet n’est pas une zone de non-droit. L’incitation à la haine raciale ou homophobe et la discrimination raciale ou homophobe sont aussi interdites en ligne.
Internet est le café du commerce d’aujourd’hui, à la différence près qu’il est beaucoup plus vaste que les auberges d’autrefois. L’anonymat supposé lève certaines inhibitions à exprimer des propos racistes et discriminatoires. Dans ce contexte, les utilisateurs ne cessent de se provoquer et les propos se durcissent, mobilisant en outre un public nouveau et de plus en plus jeune. Du reste, certains auteurs de commentaires n’hésitent pas à communiquer leur nom, leur situation familiale, leur profession ou encore leur lieu de domicile.
Lors du conflit de Gaza de l’été 2014 par exemple, on a pu observer la manière dont ces commentaires racistes et haineux créent une dynamique qui leur est propre. Facebook a ainsi enregistré une vague de commentaires antisémites graves allant jusqu’à l’appel à la violence. Des plaintes pour violation de la norme pénale anti-discrimination ont été déposées contre certains des auteurs, dont un grand nombre ont débouché sur une ordonnance pénale. En effet, l’incitation à la haine raciale et la discrimination raciale en public sont interdites en ligne comme ailleurs.
Les commentaires racistes sur Internet ne doivent pas être acceptés sans réagir. Nous pouvons tous agir et contribuer au maintien d’un Internet respectueux.
- Il est possible de répondre fermement, en des termes appropriés, aux utilisateurs tenant des propos racistes (dit contre-discours).
- Les commentaires racistes ou homophobes peuvent être dénoncés à la police ou au ministère public.
- Les commentaires racistes peuvent également être signalés sur www.reportonlineracism.ch. Les contenus qui sont pénalement pertinents, qui ont un rapport à la Suisse et une certaine chance de succès sont dénoncés aux autorités de poursuite.
En bref : les mêmes règles s’appliquent à tous les propos racistes et homophobes, qu’ils soient tenus sur Internet ou non : l’incitation à la haine raciale ou homophobe et la discrimination raciale ou homophobe dans l’espace public sont interdites et peuvent faire l’objet de poursuites judiciaires. Les commentaires racistes ne doivent pas être acceptés sans réagir et peuvent être signalés à la police, au ministère public ou sur reportonlineracism.ch.